Les fondations de zinc
Louis est né à Rocourt, dans la région de Liège, en Belgique, au début des années 1970. Il a grandi à Vottem, un village populaire, accroché à la colline, où les maisons étaient modestes mais les liens humains profonds. Ce n’était pas une vie de confort, mais une vie pleine de sens. Et au cœur de tout cela, une femme : sa grand-mère.

C’est elle qui l’a élevé. Une femme d’une gentillesse ferme, rigoureuse dans son éducation malgré le peu de moyens. Elle ne manquait jamais de dire oui quand c’était important, ni de poser des limites quand c’était nécessaire. Elle préparait chaque jour la table du petit déjeuner, le bol de lait, le pain tartiné — comme si chaque geste, répété, était une preuve d’amour. Elle incarnait le socle, la constance, le refuge. Elle est restée, pour Louis, le pilier fondateur de toute sa construction.
Ses premiers souvenirs, Louis les situe autour de trois ans. Un vendredi soir. Dans la cuisine transformée en salle de bain. Une bassine en zinc, posée sur un vieux carrelage, devant un poêle à charbon qui tentait de réchauffer la pièce. Il s’y glissait comme dans une barque, pendant que sa grand-mère le lavait avec douceur. Les autres jours, le rituel avait lieu sur la table de la cuisine, dans une bassine en plastique. Pas de salle de bain. Pas de luxe. Mais une tendresse qui valait tous les jacuzzis du monde.
C’est dans ce quartier ouvrier qu’il a fait ses premiers pas à l’école maternelle des Casconniers. Un monde nouveau s’ouvrait : celui de la collectivité. Il y rencontra Véronique, sa toute première amie. Ensemble, ils jouaient dans les couloirs. Un jour, suspendu à un portemanteau — défi enfantin — Louis tomba et se blessa au menton. Il en garda une cicatrice visible, souvenir inscrit dans la peau, témoin d’une époque où l’on tombe et où l’on se relève, littéralement.
L’hiver, les bonshommes de neige s’animaient dans la cour de l’école. Le printemps venu, on construisait des nichoirs à oiseaux. Louis, déjà, observait tout, curieux du monde, des gestes des adultes, des silences. Il se sentait parfois à l’écart, mais jamais inutile. Il bricolait, il rêvait.
Vers l’âge de 7 ou 8 ans, il transforma une boîte à bonbons vide en boîte à économies. Il y glissait les pièces qu’on lui donnait pour le pain, ou qu’il trouvait au fond des poches oubliées. Il avait un objectif : acheter un appareil photo Polaroïd. À 9 ans, il atteint son but. L’image, déjà. Le besoin de capturer ce qu’on ne dit pas. Son premier rêve accompli.
La même année, son père lui offrit une petite Italjet bleue, une moto d’enfant. Le genre de cadeau qu’on n’oublie pas. Un geste fort, en apparence, mais qui résonnait d’un vide étrange. Son père avait refait sa vie très tôt avec une autre femme. Trois autres enfants étaient nés. Louis, lui, passait les week-ends là-bas. À contre-cœur. Ce n’était pas son monde. Il n’y avait ni repère, ni tendresse.
Son père y jouait un autre rôle. Un homme différent, plus dur, moins proche. Et la belle-mère, surtout, marquait une différence saisissante. Elle chérissait ses enfants, mais regardait Louis comme un corps étranger. Il le sentait. Il le vivait. Et il en souffrait. L’enfant qu’il était comprenait déjà ce que l’injustice silencieuse peut faire à un cœur.
Mais ce qu’il comprenait aussi, c’est que tout cela ne le définirait pas. Il voulait grandir, il voulait choisir. Il voulait comprendre.