Chapitre 8 – Apprendre à durer
L’entrée dans l’âge adulte ne se fait pas en un jour. Pour Louis, elle a commencé dans les couloirs d’un salon de coiffure et dans le regard de ses premières clientes. Il était jeune, gauche, mais il apprenait vite. Pas seulement à manier les ciseaux, mais à dialoguer, à écouter, à comprendre les besoins des autres. C’est fou comme la confiance peut pousser quand on vous la donne.
L’apprenti devenu indispensable
Le salon lui avait offert un toit : un petit deux-pièces à l’étage. Le confort était sommaire, mais fonctionnel. Son patron, bien plus désorganisé que lui, s’est vite reposé sur ses épaules. Il le laissait gérer les rendez-vous, les visites à l’hôpital. Il savait que Louis faisait entrer un peu d’argent en plus, discrètement, honnêtement. Et pendant ce temps, Louis se construisait un avenir, francs par francs.
Il a commencé à économiser. Pour la première fois, il envisageait l’idée de rester quelque part. D’avoir une routine. De faire les courses chez les mêmes commerçants. Il se souvenait de Francine, la patronne d’une friterie du quartier, où il allait chercher son repas du midi avec ses pourboires. Et certaines clientes bienveillantes lui apportaient parfois un repas pour le soir. C’était simple, mais c’était humain. Et il se faisait enfin appeler par son prénom.
Benji, l’ancrage vivant
Benji était toujours là. Fidèle. Même quand les relations humaines s’effritaient, lui ne changeait pas. Il attendait chaque soir, posé dans un coin, les oreilles dressées dès que la porte s’ouvrait. Ce chien, c’était sa famille, son lien, son ancre. Il l’a vu pleurer, douter, rire aussi. Il comprenait tout, sans un mot.
Nouveaux visages, vérités intérieures
Durant cette période, Louis a croisé des personnes marquantes. Des collègues, des clientes âgées, des jeunes en errance comme lui. Il commençait à créer un cercle. Pas une famille, mais un réseau. Il ne demandait pas grand-chose : un sourire, un conseil, une écoute. Et parfois, il en recevait plus qu’il n’aurait osé espérer.
C’est aussi à cette période qu’il s’est confronté à lui-même. Ce qu’il ne disait pas encore, c’est qu’il était attiré par les garçons. Ce n’était pas clair, ni assumé. Il avait tenté d’en parler à sa marraine vers ses 16 ans. Mauvais timing, mauvaise réception. Depuis, il avait tout enfoui. Mais les regards dans le bus, certains copains d’école ou de quartier, tout cela le troublait. Ce n’était pas juste de la curiosité. C’était une vérité qui demandait à sortir.

Un jour, son patron lui a proposé de sortir en ville, rue de la Casquette, au bar L’Amigo. Il était tard, ou tôt plutôt, quand un jeune blond est entré. Et là, Louis a su. Il n’y avait plus de doute. Son cœur s’est ouvert, et avec lui un monde entier. C’était un premier flirt, une première étincelle, une première liberté intérieure. Il venait de s’autoriser à être.
C’est aussi ce soir-là que son ami Hani a rencontré Jacqueline, une femme plus âgée qui travaillait dans une boulangerie. Une rencontre anodine en apparence… qui allait changer sa vie.
Le grand saut
Quelques semaines plus tard, Jacqueline lui a annoncé que ses patrons connaissaient quelqu’un qui vendait une petite boulangerie à Ans. Un dépôt de pain, pas une vraie boulangerie. Mais à l’époque, les systèmes comme Point Chaud n’existaient pas encore.

Louis avait à peine 18 ans et quelques mois. Mais il s’est lancé. Indépendant. Patron. Responsable. Il a utilisé ses maigres économies pour payer la première mensualité. Il ne savait pas dans quoi il mettait les pieds. Mais il savait qu’il était prêt à apprendre.
Il a tout pris en main. L’ouverture à l’aube. Les commandes. Le contact avec la clientèle. Il était à mille lieues de l’ado perdu d’il y a quelques mois. Et pourtant, tout restait fragile. Mais c’était lui. C’était sa vie.
Premiers projets, premiers rêves
C’est à ce moment-là que ses rêves ont changé d’échelle. Il ne voulait plus seulement s’en sortir. Il voulait réussir. Il se surprenait à imaginer une deuxième boulangerie, une vitrine plus moderne, des produits artisanaux… Il dessinait des idées sur des feuilles volantes. Il prenait des photos avant/après. Il observait tout. Il s’inspirait.
Il essayait de voir plus loin que le bout de la semaine.
Et pour la première fois, il s’en sentait capable.