Grandir sous silence
Louis n’a pas connu l’amour d’une mère, ni la présence constante d’un père absorbé par une autre famille. L’amour, il l’a reçu d’une grand-mère.
Sa mère avait disparu à l’aube de sa première année, happée par une autre histoire, un autre homme, une autre vie. Quand elle réapparut brièvement, autour de ses dix ou onze ans, ce ne fut qu’un mirage. Trop de distance, trop d’années, trop de blessures jamais pansées. Elle repartit comme elle était venue, laissant un fils qui n’était plus vraiment le sien, un garçon de nouveau livré à lui-même.
Mais entre ces deux silences maternels, il y avait Vottem.
Les années d’école primaire : de Vottem à Richelle
Louis entama sa scolarité à l’école communale des Casconniers. Il poursuivit ensuite à l’école Notre-Dame de Vottem pour sa quatrième année. À dix ans, nouveau tournant : il rejoint l’école Tannixe à Bressoux, une école catholique. Là, il se souvient avec émotion de Monsieur Jacob, un professeur dont la signature lui servira plus tard de modèle pour la sienne. En sixième année, changement radical : internat à Richelle. Contre toute attente, ce fut une révélation.
À Richelle, Louis trouva une forme d’évasion, presque de bonheur. Il aimait les mathématiques, redoutait un peu le français, mais se passionnait pour le latin, l’histoire romaine et le dessin. Ces matières lui offraient un cadre, une beauté, une logique. Elles résonnaient avec son besoin d’ordre et de verticalité.
Une religieuse, sœur Solange, marqua profondément sa vie. Cadrante, bienveillante, elle fut une figure maternelle de substitution pour les internes.
Vottem, le foyer du cœur

Chez sa grand-mère, la vie avait une cadence simple et rassurante. Le matin, toilette rapide avec un gant, souvent devant le feu à bois. Petit-déjeuner aux Smacks et vitamines, puis départ à pied pour l’école, seul dès six ans. Sa grand-mère lui préparait ses tartines avec soin. En rentrant, elle déployait un pupitre pour les devoirs, toujours à la plume. L’écriture devait être parfaite. Une rigueur qu’il n’a jamais oubliée, même s’il a perdu ce geste.
Les soirées étaient tendres : repas chaud, un peu de télévision, blotti dans le creux des jambes de sa grand-mère sur le divan. Il s’y endormait souvent, elle le portait ou le guidait jusqu’à son lit.
Le samedi, il allait aux louveteaux. Le dimanche, il servait la messe comme acolyte. Le reste du temps, il jouait dehors, grimpait aux deux poiriers du jardin pour construire des cabanes.
L’enfance avait parfois le goût de l’aventure.
Une maison à trois : tendresse, présence et douleurs cachées
La grand-mère de Louis vivait avec Théo, qu’il appelait « Pépère ». Un homme discret, presque invisible, qui s’effaça à la fin de sa vie sans explication. Louis ne sut jamais pourquoi.
Une autre présence réconfortante était celle de sa marraine, la fille de sa grand-mère. Il adorait lui préparer son café au lait, lui voler quelques gorgées. C’était une complicité simple.
Son parrain, en revanche, était une ombre froide. Sévère pour un rien, main levée trop vite, il fut difficile à aimer.
Avec sa petite pension, sa grand-mère faisait des miracles. Elle tricotait pulls et débardeurs. Il fallait faire attention aux vêtements, être soigneux. Mais Louis n’a jamais manqué ni d’amour, ni de nourriture.
Elle lui a appris l’ordre, le soin, la rigueur, les bases de la vie.
Catholique, elle était aussi Antoiniste. Ils fréquentaient le temple, lisaient les écrits du Père Antoine. Une philosophie de bienveillance qui, bien qu’étrange pour un enfant, a laissé une empreinte.
Chez son père : l’autre face du monde
Quand Louis retournait chez son père, tout changeait. L’ambiance était froide, le désordre ambiant, l’humanité absente.
La belle-mère n’était pas tendre. Elle le malmenait, faisait de grandes différences avec ses propres enfants.
Quand sa grand-mère tomba malade, ce fut une descente aux enfers. Clouée au lit, elle devait sonner pour avoir de l’aide, mais la belle-mère faisait mine de ne pas entendre.
Louis, enfermé à clé dans sa chambre, tentait de crocheter la serrure pour la rejoindre. Il y parvenait parfois, veillait à ses côtés.
Ce calvaire dura six mois. Une lente agonie, silencieuse, cruelle.
Elle s’éteignit en juillet, alors que Louis avait 10 ans. Ce fut une des plus grandes douleurs de sa vie.
Le retour impossible de la mère
Puis, l’impensable. À 11 ans, sa mère réapparut.
Il ne se souvenait pas d’elle. Lorsqu’elle revint, il crut à une échappatoire. Peut-être allait-il enfin quitter ce quotidien lourd et violent. Il aimait pourtant son père, mais ne comprenait pas pourquoi il ne voyait pas — ou ne voulait pas voir — les sévices que Louis subissait.
Mais cette lueur d’espoir s’éteignit aussi vite qu’elle était née.
Elle ne vint pas vivre avec lui. Elle ne reprit aucun rôle. Elle était toujours avec cet homme qui l’avait emmenée autrefois.
Autour de lui, une fille d’un précédent mariage, un petit-fils… Un autre garçon apparut, et avec lui, une distance croissante.
Louis comprit qu’il n’y aurait pas de réconciliation, pas de renaissance, pas de maternité retrouvée.
Juste une blessure de plus.
Une mère qu’on ne peut reconquérir.
Une famille qui ne se recolle pas.
Un amour qui n’a pas germé.